Alain Badiou : «La frustration d’un désir d’Occident ouvre un espace à l’instinct de mort»

Redacția
Texte selectate sau scrise de echipa redacţională: Vasile Ernu, Costi Rogozanu, Florin Poenaru.

Comment comprendre l’énigmatique pulsion de mort qui anime les jihadistes ? Des tueries de janvier à celles de novembre, chacun cherche les causes, sociales ou religieuses, de cette «radicalisation» qui, ici et ailleurs, cède à une violence inouïe. Pour le philosophe Alain Badiou, les attentats sont des meurtres de masse symptomatiques de notre époque, où règne sans limite le capitalisme mondialisé. Dans son dernier ouvrage, Notre mal vient de plus loin : penser la tuerie du 13 Novembre, qui sort le 11 janvier chez Fayard, il rappelle la nécessité d’offrir à la jeunesse mondiale, frustrée par un capitalisme qui ne tient pas ses promesses, une alternative idéologique.

Quelles différences voyez-vous ­entre les attentats de janvier et ceux de novembre ?

Dans les deux cas, on a le même contexte historique et géopolitique, la même provenance des tueurs, le même acharnement meurtrier et suicidaire, la même réponse, policière, nationaliste et vengeresse, de la part de l’Etat. Cependant, tant du côté du meurtre de masse que du côté de la réponse étatique, il y a des différences importantes. D’abord, en janvier, les meurtres sont ciblés, les victimes choisies : les blasphémateurs de Charlie Hebdo, les juifs et les policiers. Le caractère idéologique, religieux et antisémite des meurtres est évident. D’autre part, la réponse prend la forme d’un vaste déploiement de masse, voulant symboliser l’unité de la nation derrière son gouvernement et ses alliés internationaux autour d’un mot d’ordre lui-même idéologique, à savoir «nous sommes tous Charlie». On se réclame d’un point précis : la liberté laïque, le droit au blasphème.

En novembre, le meurtre est indistinct, très évidemment nihiliste : on tire dans le tas. Et la réponse n’inclut pas de déploiement populaire, son mot d’ordre est cocardier et brutal : «guerre aux barbares». L’idéologie est réduite à sa portion congrue et abstraite, du genre «nos valeurs». Le réel, c’est le durcissement extrême de la mobilisation policière, avec un arsenal de lois et de décrets scélérats et liberticides, totalement inutiles, et visant rien de moins qu’à rendre éternel l’Etat d’urgence. De là résulte qu’une intervention rationnelle et détaillée est encore plus urgente et nécessaire. Il faut convaincre l’opinion qu’elle ne doit se retrouver, ni bien entendu dans la férocité nihiliste des assassins mais ni non plus dans les coups de clairons policiers de l’Etat.

Vous analysez le 13 Novembre comme un «mal» dont la cause serait l’échec historique du communisme. Pourquoi ? C’est une grille de lecture qui paraît nostalgique et dépassée…

J’ai essayé de proposer un protocole d’explication aussi clair que possible, en partant des structures de ­notre monde : l’affaiblissement des Etats face à l’oligarchie privée, le désir d’Occident, et l’expansion du capitalisme mondialisé, face auquel aucune alternative n’est proposée aujourd’hui. Je n’ai aucune nostalgie passéiste. Je n’ai jamais été communiste, au sens électoral du mot. J’appelle «communisme» la possibilité de proposer à la jeunesse planétaire autre chose que le mauvais choix entre une inclusion résignée dans le dispositif consommateur existant et des échappées nihilistes sauvages. Il ne s’agit pas de ma part d’un entêtement, ni même d’une tradition. J’affirme seulement que tant qu’il n’y aura pas un cadre stratégique quelconque, un dispositif politique permettant notamment à la jeunesse de penser qu’autre chose est possible que le monde tel qu’il est, nous aurons des symptômes pathologiques tels que le 13 Novembre.

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